Le Pulaar mauritanien en phase de créolisation : la génération de Wonni et Molli
Dans cette réflexion percutante, Daouda Dia Moussa alerte sur le processus de créolisation contrainte que subit le pulaar mauritanien, sous l’effet d’une politique linguistique étatique favorisant l’arabe hassaniya. À travers l’analyse des usages linguistiques de la génération dite "Wonni-Molli", il met en lumière les mécanismes de domination symbolique, le mimétisme social des jeunes locuteurs et les risques majeurs de dilution culturelle. Une contribution essentielle pour penser la revitalisation des langues négro-africaines en Mauritanie.
Dia Daouda Moussa
5/21/20252 min read
En Mauritanie, les politiques linguistiques postcoloniales ont visé, de manière systématique, à marginaliser les langues négro-africaines — en particulier le pulaar, le soninké et le wolof — au profit de l’arabe hassaniya. Ce processus s’inscrit dans une stratégie de domination ethnolinguistique dont les effets se font aujourd’hui sentir dans les pratiques langagières quotidiennes, notamment chez les jeunes locuteurs du pulaar.
1. Une créolisation sous contrainte
Loin d’être le fruit d’un contact égalitaire entre deux langues, la transformation actuelle du pulaar mauritanien s’apparente à une créolisation contrainte, c’est-à-dire une déformation linguistique engendrée par la domination politique, scolaire et médiatique de l’arabe hassaniya. Ce processus se manifeste par l’adoption croissante de mots, expressions et tournures issues de l’arabe, souvent intégrés de manière approximative et sans adaptation phonologique ou morphologique.
Parmi les exemples les plus frappants, on retrouve les termes "Wonni" ( je t'adore, tu es un amour ") et "Molli" ( encore en Hassaniya"), désormais omniprésents dans les échanges entre jeunes et grands deracinés des centres urbains.
Ces mots, devenus presque des marqueurs générationnels, symbolisent un tournant dans l’usage du pulaar, où l’empreinte du dominant efface progressivement les formes originelles.
2. Snobisme linguistique et mimétisme social
Il ne s’agit pas ici de condamner tout emprunt linguistique. Comme dans toutes sociétés de contact, les langues s’enrichissent mutuellement. Cependant, ce que nous dénonçons, c’est la forme pathologique de l’emprunt dans ce contexte précis : un mimétisme linguistique motivé par une volonté de ressembler au groupe dominant, plutôt que par un véritable échange culturel.
Ce phénomène est souvent renforcé par un snobisme des dominés, qui perçoivent la langue du dominant comme vecteur de prestige social. Ainsi, parler "comme les Maures" devient une manière pour certains jeunes Peuls, Soninkés ou Wolofs de signifier leur désir d’intégration — ou du moins de conformité — à la norme dominante. Ce désir s’accompagne d’un rejet ou d’une moquerie envers ceux qui parlent un pulaar jugé "trop pur", "vieux" ou "paysan".
3. Les dangers de la dilution culturelle
Cette dynamique met en péril la transmission intergénérationnelle de la langue et de la culture. La génération des Wonni-Molli est celle qui n’a pas appris à lire ou écrire sa propre langue, celle qui ne maîtrise plus les proverbes, les chants traditionnels, ni les registres de politesse et de parenté qui structuraient autrefois les interactions sociales. Le pulaar, langue de poètes, d’érudits et de pasteurs, est désormais en danger d’effacement progressif.
Ce phénomène est d’autant plus grave que la politique linguistique de l’État mauritanien ne prévoit aucune réelle valorisation des langues nationales. Au contraire, tout est fait pour normaliser l’arabe comme seule langue d’État, reléguant les langues africaines à un statut folklorique ou subalterne.
La créolisation du pulaar en Mauritanie n’est pas un simple processus linguistique. C’est un symptôme d’une domination structurelle plus vaste, où la langue devient un outil de contrôle symbolique et d’uniformisation culturelle. Il est urgent de documenter, revitaliser et enseigner le pulaar — dans sa richesse originelle — pour éviter qu’il ne devienne une langue à moitié digérée par l’idéologie de la minorité dominante.
Daouda Dia Moussa
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