Le marquage des bovidés chez les Peuls : feu, signes et géométrie d’un monde pastoral
Dans cette étude ethnosémiotique, le Professeur Dia Daouda Moussa explore la pratique du marquage des bovidés chez les Peuls comme un système de signes à la fois symbolique, esthétique et rituel. À travers l’analyse des formes géométriques, des outils du feu sacré (Jayngol) et des dynamiques lignagères incarnées par le Jelogal, l’auteur met en lumière une grammaire visuelle ancestrale qui articule identité sociale, mémoire collective et cosmologie pastorale. Ce marquage n’est pas seulement une technique d’identification animale, mais une écriture sacrée où le corps du bovidé devient support d’un savoir transmis et inscrit dans le vivant.
Dia Daouda Moussa
5/11/20253 min read
Chez les Peuls, peuple d’éleveurs nomades ou semi-nomades depuis des siècles, le marquage au fer rouge des bovidés — appelé Jelogal ou Jelongal — constitue un acte fondamental à la croisée du rite, de l’ordre social, de l’esthétique et du sacré. Réalisé à l’aide du feu (Jayngol), ce geste ancien relève d’une profonde sagesse pastorale, où chaque marque est une trace de mémoire, d’appartenance et de protection.
1. Jelogal : une écriture lignagère et symbolique
Le Jelogal n’est pas une opération banale. Il s'agit d’une grammaire visuelle codifiée, transmise de génération en génération, et inscrite sur le corps du bovidé comme sur un parchemin vivant. Les Peuls ont développé au fil des siècles une véritable iconographie pastorale, où les marques ne sont pas choisies au hasard, mais en fonction de leur ancienneté, de leur signification symbolique et de leur pouvoir distinctif.
Parmi les marques les plus anciennes, on trouve :
L’étoile de David, appelée en peul faddungo Ndaw : cette figure géométrique composée de deux triangles imbriqués est considérée comme une marque noble et ancienne. Elle est parfois interprétée comme un symbole de protection, d’harmonie cosmique, ou de maîtrise du monde visible et invisible. Sa présence dans les marques peules témoigne d’un fond culturel profondément ancré, et peut-être d’anciens échanges transsahariens ou d’influences mystiques régionales.
Les bâtons croisés, appelés en peul galaaði burgal : deux lignes formant une croix simple ou stylisée, souvent apposées sur diverses parties du corps de l’animal. Cette marque, largement répandue, est aussi l’une des plus anciennes. Elle peut symboliser la croisée des chemins, la protection, ou le lien entre les mondes.
Les cercles, ou uppoodé : petits ronds gravés dans la peau, évoquant la case peule circulaire, et donc la centralité familiale et la stabilité du foyer. Marquer un bovidé avec un cercle, c’est le relier symboliquement à l’espace domestique et sacré.
Les bâtons parallèles, ou leurs variantes : ces lignes, simples mais puissantes, permettent de différencier les troupeaux entre familles. Le marquage implique toujours la recherche d’originalité, afin d’éviter la redondance au sein de la communauté. Chaque Jelogal est une signature visuelle, une carte d’identité à la fois esthétique, juridique et lignagère.
2. Jayngol : le feu sacré, agent de transformation et de lumière
Le Jayngol, terme peul qui signifie à la fois feu et lumière, désigne l’élément fondamental du marquage. Il ne s’agit pas d’un simple outil, mais d’une force vivante, ambivalente, spirituelle. Dans l’univers peul, le feu est respecté : il chauffe, éclaire, protège le campement, purifie l’espace et fertilise les terres après la brûlure.
Lors du marquage, le Jayngol consacre l’animal. Le fer chauffé à blanc imprime une marque qui n’est pas une blessure, mais une inscription sacrée, une transition d’état : le bovidé passe de l’anonymat à l’appartenance, de l’errance à la reconnaissance. Le feu joue ici le rôle de médiateur entre les humains et les forces invisibles, entre l’animal et le monde social.
Dans certains contextes, ce geste s’accompagne de formules rituelles, de gestes codifiés ou de bénédictions, souvent prononcés par un ancien, un forgeron ou un homme initié. L’objectif est de protéger le troupeau, d’assurer sa fécondité et sa paix, et de maintenir l’ordre invisible du monde pastoral.
Géométrie sacrée et mémoire brûlée
Le marquage peul des bovidés, loin d’être une simple technique, est une pratique codifiée, esthétique et cosmique. Cercles uppoodé, croix galaaði burgal, étoile faddungo Ndaw, lignes parallèles… tous ces signes composent une cosmogonie silencieuse portée par les bêtes. Le fer, la chair et le feu deviennent les supports d’un savoir ancien, d’une mémoire gravée dans le vivant, où se rejoignent l’individu, la lignée et l’univers.
Daouda Dia Moussa


A propos
Contact
Rester en contact
blog@oumarou.net
© 2024. Karlawal-communication.com All rights reserved.