Gaza, un génocide à ciel ouvert

Face aux massacres et à l’escalade tragique à Gaza, Elio Di Rupo, ancien Premier Ministre de Belgique et Député Européen, rompt le silence. Fort de son expérience politique, diplomatique et de son engagement indéfectible contre les discriminations, il livre une analyse implacable de la politique menée par le gouvernement israélien d'extrême-droite, qu’il qualifie à juste titre de projet génocidaire. Un appel fort à la conscience européenne et à l’action.

Elio Di Rupo, ex-Premier Ministre de la Belgique et Député Européen

5/21/20257 min read

My post contentJ’ai toujours combattu l’antisémitisme. Je continuerai à le faire jusqu’à mon dernier souffle. Mais sans réaction nous serions complices d’un génocide qui s’opère sous nos yeux.

Je me souviens. C’était lors du premier mandat de Benjamin Netanyahou, entre 1996 et 1999. Lors d’une visite officielle en tant que Vice-Premier ministre en charge de l’économie, au cours de laquelle j’ai rencontré tant les autorités palestiniennes qu’israéliennes, j’ai eu un entretien avec lui dans son cabinet à Jérusalem. Sans détour, il m’avait confié qu’il n’accepterait jamais un continuum arabe entre la Jordanie et Jérusalem, encore moins jusqu’à la bande de Gaza. Ce n’était pas une simple déclaration politique : c’était une vision stratégique, préméditée. Une vision qui s’est traduite, depuis, par une intensification de la colonisation en Cisjordanie – territoire palestinien – créant, volontairement, des obstacles humains et géographiques entre les Palestiniens de Jérusalem et ceux de Jordanie.

Aujourd’hui, environ 750 000 colons israéliens occupent illégalement les territoires palestiniens. Ces chiffres ne sont pas abstraits : ils témoignent d’une politique de dépossession planifiée et assumée.

Mais si la Cisjordanie illustre une stratégie de fragmentation et de dépossession à long terme, c’est aujourd’hui à Gaza que cette logique atteint son paroxysme, dans une violence d’une ampleur sans précédent.

Selon la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », le génocide se définit par des actes commis avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Cela inclut : le meurtre de membres du groupe, des atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale, ou encore la soumission intentionnelle à des conditions d’existence destinées à entraîner leur destruction physique.

C’est ce qui se déroule aujourd’hui à Gaza. Sous les ordres directs de Netanyahou et de son gouvernement. L’élément matériel comme l’intention sont présents. Et visibles. Il ne s’agit pas d’interprétation personnelle. Il s’agit de faits : plus de 52 000 Palestiniens et Palestiniennes — parmi eux des enfants, des femmes, des civils, des soignants et des journalistes — ont été tués. Les infrastructures vitales sont systématiquement visées : des hôpitaux et des maternités ont été détruits, des écoles bombardées. La famine est délibérément instrumentalisée comme moyen de pression. Plus de 80 % de la population a été contrainte de fuir, déplacée à plusieurs reprises dans une zone déjà assiégée. Depuis mars, un blocus quasi total de l’aide humanitaire est en place : les convois sont entravés, attaqués. J’en ai été moi-même le témoin lors d’une mission à Rafah. Les travailleurs humanitaires sont pris pour cibles, et les civils enfermés dans une impasse meurtrière.

Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ), saisie par l’Afrique du Sud – et soutenue par de nombreux États, dont la Belgique – a reconnu un « risque plausible » de génocide à Gaza. Cela signifie que, sur la base des preuves soumises et de la situation sur le terrain fin 2023-début 2024, la Cour estime que le danger d’un génocide est réel, grave, imminent.

La CIJ a alors ordonné à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir de tels actes, de sanctionner tout appel public au génocide (notamment ceux exprimés par les Ministres de l'extrême droite au sein de son gouvernement) et de contrôler les actions de ses forces armées.

Mais la situation n’a cessé d’empirer. Le 28 mars 2024, une nouvelle décision a été rendue par la Cour : elle alerte sur une détérioration humanitaire dramatique à Gaza, en particulier un risque de famine généralisée dans certaines zones, une pénurie d’eau, de carburant, d’électricité, de médicaments, de soins. Une fois encore, le gouvernement israélien a été sommé de garantir un accès sans entrave à l’aide humanitaire et de respecter les droits fondamentaux de la population civile.

En octobre 2024, l’Afrique du Sud a renforcé sa plainte en déposant un mémorandum de 750 pages d’argumentation accompagné de plus de 4 000 pages de preuves en annexes, démontrant la continuité et l’intensité du génocide en cours. Les nouveaux éléments apportés sont actuellement en cours d’examen.

Parallèlement, la Cour pénale internationale (CPI) a pris une décision historique : des mandats d’arrêt ont été émis contre Benjamin Netanyahou et Yoan Gallant, ancien Ministre israélien de la Défense. Ils sont accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis à Gaza depuis le 8 octobre 2023. Parmi les chefs d’accusation, utilisation de la famine comme méthode de guerre, blocus de l’aide humanitaire, bombardements ciblés de zones densément peuplées sans objectif militaire clair, destruction systématique d’infrastructures civiles comme les hôpitaux, les écoles et les réseaux d’eau, ainsi que des atteintes graves à la dignité et à la survie des civils palestiniens

Ces accusations sont lourdes. Elles sont juridiquement étayées. Et elles sont le fruit d’enquêtes rigoureuses, menées dans le respect du droit international, du Statut de Rome et des garanties procédurales, y compris pour Israël, qui bénéficie du plein droit à la défense.

Il est essentiel de rappeler que le conflit israélo-palestinien est une tragédie historique, complexe et enracinée, qui exige une compréhension profonde, une analyse rigoureuse des faits et du droit, même si l’émotion — légitime — submerge souvent le débat public.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! En décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a saisi la Cour internationale de Justice pour un avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’occupation prolongée des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est. Le 19 juillet 2024, la Cour a ainsi déclaré que cette occupation, commencée en 1967, est illégale au regard du droit international. Le gouvernement israélien est donc tenu de cesser immédiatement toute colonisation, de retirer ses colons et de réparer les préjudices causés. Tous les États ont également l’obligation de ne pas reconnaître cette occupation comme légitime et de s’abstenir d’y contribuer de quelque manière que ce soit.

Et les récentes déclarations de Netanyahou ne sont pas de nature à trouver une issue à l’horreur vécue à Gaza. Le 19 mai 2025, le Premier ministre israélien a annoncé qu'Israël prendrait le contrôle total de la bande de Gaza. Il s’agit d’une nouvelle étape dans l’escalade de la violence, avec la mise en œuvre du « plan israélien de reconquête », d’occupation de la bande de Gaza et de déplacement de la population palestinienne.

Je le réaffirme avec clarté: j’ai toujours combattu l’antisémitisme. Je continuerai à le faire jusqu’à mon dernier souffle. Mais nous ne devons pas confondre le peuple juif, ni les juifs à travers le monde, ni tous les Israéliens avec la politique criminelle de Benjamin Netanyahou. L’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, est un acte terroriste inexcusable. Et l’avenir du peuple palestinien ne peut se construire avec un groupe terroriste tel que celui-là. Je pense aux otages, à leurs familles, à leur douleur. Ils doivent être libérés !

Mais cela ne saurait justifier une politique de destruction systématique d’un peuple. Le projet génocidaire de Netanyahou ne fait plus de doute. Et il est impératif qu’il soit jugé pour ses actes, comme le demande la Cour Pénale Internationale.

L’Europe ne peut plus se permettre l’indifférence sélective. Elle ne peut condamner avec vigueur les crimes commis en Ukraine tout en gardant un silence assourdissant face aux drames qui se déroulent à Gaza, en Cisjordanie ou encore à l’est de la République Démocratique du Congo, où les violences du Rwanda et du M23 laissent des populations entières livrées à l’oubli. Le droit international et le droit humanitaire n’ont pas vocation à être appliqués à géométrie variable. Leur respect conditionne la crédibilité de l’Union européenne, aujourd’hui déjà sérieusement entamée.

Et pourtant, l’Union ne manque pas d’outils. Contre la Russie, elle a su mobiliser une réponse rapide et déterminée, enchaînant les sanctions. Pourquoi ne pas faire de même face aux violations graves commises par des responsables israéliens ? Pourquoi ne pas étendre les sanctions actuelles contre les colons violents de Cisjordanie ? Pourquoi maintenir des accords commerciaux inchangés, quand ces derniers sont censés être conditionnés au respect des droits humains, comme le prévoit l’article 2 de l’Accord d’association avec Israël ? Pourquoi ne pas interdire l’importation des produits issues des colonies israéliennes en Cisjordanie ? Il est également temps d'imposer un embargo sur les armes et les biens à double usage à destination d’Israël, de soutenir sans équivoque les travaux des juridictions internationales, et d’agir là où la loi et l’éthique l’exigent.

Reconnaître l’État de Palestine ne serait qu’une première étape vers la paix. Cette reconnaissance n’est ni symbolique, ni prématurée : elle est une réponse politique au déséquilibre historique et une affirmation du droit d’un peuple à l’existence et à la dignité. Elle permettrait d’engager un dialogue d’égal à égal — non entre un occupant et un occupé, mais entre deux États, dans le respect mutuel. Il est également temps de rejeter les fausses positions entendues ça et là, lesquelles imposent des préconditions multiples irréalistes et entravent en réalité la reconnaissance de l’État de Palestine.

Les divergences internes entre États membres ne peuvent justifier l’inaction. Il est temps pour l’Union d’avancer avec ceux qui le souhaitent, et de ne plus se laisser paralyser par ceux qui préfèrent l’immobilisme.

Malgré des leviers plus limités, le Parlement européen, lui aussi, doit assumer sa part. Il adopte régulièrement des résolutions sur les droits humains et les conflits dans le monde. Pourquoi reste-t-il muet sur Gaza ? Certes, les équilibres actuels — une extrême droite influente, des réactionnaires, des conservateurs frileux — peuvent faire craindre une position affaiblie. Mais une résolution, même contestée, obligerait chacun à se positionner clairement. Elle lèverait le voile sur les silences complices.

Les mots ont leur poids. Ils tentent d’exprimer l’indicible, de mettre en lumière la détresse, l’horreur, les violations les plus graves du droit international — les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité. Mais face à la tragédie qui se déroule aujourd’hui dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, les mots ne suffisent plus. Les condamnations, les déclarations, les appels à la retenue — aussi nécessaires soient-ils — demeurent impuissants à arrêter le cours de l’inhumain. Les mots ne protègent pas les civils. Ils ne ramènent pas les enfants tués à leur famille.

Il est toujours urgent de rappeler les faits. De témoigner, de nommer, de dénoncer. Mais il est encore plus urgent d’agir. Car seule une action concrète, résolue et immédiate pourra mettre un terme à cette spirale de violence.

L’histoire nous jugera, non sur ce que nous avons dit, mais sur ce que nous aurons fait !

Elio DI RUPO

Ancien Premier Ministre

Député européen