Gaza : le droit comme rideau, l’indifférence en costume

Dans cette réflexion percutante, Rudy Demotte dénonce la froideur juridique et le relativisme politique face à la catastrophe humanitaire à Gaza. Il s’interroge sur la banalisation d’un discours qui, sous couvert de rigueur, masque une indifférence profonde. Gaza, rappelle-t-il, n’est pas un dossier : c’est une fracture morale.

GÉOPOLITIQUE

Rudy Demotte

6/2/20253 min read

Quand la parole se répète, le silence s’installe

GL Bouchez a parlé à l’ULB. Il a parlé à l’UCLouvain. Il pourrait encore, demain ou un autre jour, le faire dans une école de commerce ou sur une péniche philosophique, peu importe. Car ce n’est pas tant le lieu que la répétition du propos qui mérite l’attention. À chaque fois, le même ton, la même méthode, la même posture : l’apparence de la mesure, la rigueur du juriste, l’air de celui qui sait tempérer les foules trop sensibles. Et le même message, implacable de froideur : Gaza ? Oui, bon, c’est grave, bien sûr… mais pas trop vite, pas trop fort, pas trop clair. Le droit, vous comprenez.

Une pédagogie de la minimisation

Et donc, Georges-Louis Bouchez explique. Il explique que le mot “génocide” ne peut pas être utilisé à la légère. Il nous rappelle que l’intention de détruire un peuple doit être démontrée, dans les formes, preuves à l’appui, citations en bonne et due forme. Ce qu’on voit à Gaza ? Des bombardements, certes. Des morts, oui. Des déplacés, bien sûr. Mais rien qui permette, à ce stade, d’utiliser un mot aussi lourd. Restons calmes. Laissons les juristes faire leur travail. Ne cédons pas à l’émotion.

L’indignation mise en balance

Et puisqu’il est question de chiffres, il les mobilise : 40 000 morts à Gaza ? Certes, mais combien en Afghanistan ? En Syrie ? En Irak ? Pourquoi cet acharnement particulier sur Israël ? Il faudrait, apparemment, calibrer notre indignation à l’échelle des statistiques globales. L’indignation devient un marché de comparaison. Et Gaza, un cas parmi d’autres. Trop visible, peut-être. Trop médiatisé. Trop “émotif”.

Le déplacement de la faute

Surtout, évitons d’être simplistes. Le Hamas se cache dans les hôpitaux, dit-il. Les écoles, les maisons. Si Israël frappe, c’est la faute du Hamas. Si des civils meurent, c’est parce qu’ils ont été pris en otage par une stratégie cynique. L’armée israélienne, elle, serait contrainte d’agir. Presque à regret. Et si la preuve manque ? Alors le doute doit prévaloir. Pas de condamnation sans certitude. Surtout pas contre un allié.

Pendant ce temps, Gaza s’effondre

Mais tout cela ne serait encore qu’un exercice de rhétorique creuse s’il ne s’inscrivait pas dans un contexte bien réel. Car pendant qu’on disserte sur l’intention génocidaire, la bande de Gaza, elle, est littéralement pulvérisée.

Plus de 54 000 morts recensés, 124 000 blessés, 1,7 million de personnes déplacées, 66 000 enfants atteints de malnutrition aiguë. Et selon l’ONU, Gaza est devenu en mai 2025 “le lieu le plus affamé de la planète”, avec 100 % de sa population exposée à un risque élevé de famine. Ce n’est plus un effondrement, c’est un naufrage humanitaire total.

Le juridisme comme voile

Mais dans le discours de certains responsables politiques, tout cela reste secondaire. Pas illégal, pas intentionnel, pas prouvé. Il faudrait presque attendre que les ruines parlent latin et que les morts aient signé leur plainte.

Et c’est cela qui me pousse à écrire aujourd’hui. Pas la nouveauté des propos. Leur banalisation. Leur sérénité glacée. Le fait qu’ils puissent être prononcés dans des amphis universitaires, à la tribune de la pensée, sans que l’on s’interroge sur ce qu’ils produisent : une anesthésie lente, un lent renversement de la charge morale.

Une autre voix : la lucidité de Jean-Paul Chagnollaud

Alors oui, à l’opposé de cette stratégie du doute, je choisis de relayer les mots de Jean-Paul Chagnollaud. Lui aussi est juriste. Mais chez lui, le savoir n’est pas un paravent. Il écrivait récemment :

« Je n’ai jamais vécu une période comme celle-ci. Voir une situation aussi tragique, avec si peu de prise de conscience, chez les politiques, chez tant de journalistes… On parle là d’un nettoyage ethnique. Annoncé. Réalisé. Avec une société entière réduite en poussière, deux millions de personnes en errance… Je comprends maintenant pourquoi certaines tragédies historiques ont été possibles. Et pourquoi cela peut encore l’être. C’est cela, qui me bouleverse profondément : cette large indifférence. »

Gaza n’est pas un dossier. C’est une fracture morale.

Ces mots, je les reprends, sans hésiter. Car ce n’est pas d’un sursaut juridique que nous avons besoin. C’est d’un réveil moral. Gaza n’est pas un dossier. Ce n’est pas une question à débattre avec détachement. Gaza est un test. Un miroir. Une fracture.

Et quand certains, drapés dans leur objectivité, nous expliquent qu’il faut “attendre”, “vérifier”, “contextualiser”, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a des silences qui tuent plus sûrement que des armes.

par Rudy Demotte (ancien président du Parlement de la Communauté française de Belgique)

Genocide à GAZA
Genocide à GAZA