Chroniques du Hajj (9) : Ce que La Mecque a révélé à Malcolm X

Dans cette 9ᵉ chronique du Hajj, Abdoulaye Amadou retrace le pèlerinage de Malcolm X à La Mecque en 1964, un moment décisif de transformation personnelle et politique. Ce voyage révéla à l’activiste américain une fraternité humaine qu’il croyait impossible, bouleversant sa vision du monde et du combat antiraciste. Une leçon puissante sur le pouvoir spirituel du Hajj à éveiller les consciences.

CHRONIQUES DU HAJJ

ABDOULAYE AMADOU

6/7/20252 min read

Le voyage de Malcolm X pour le pèlerinage (Hajj) à La Mecque en 1964 marqua un tournant décisif dans sa vie et son activisme. Avant cette date, Malcolm X (alors connu sous le nom de Malcolm Little, puis El-Hajj Malik El-Shabazz) était une figure majeure de l’organisation Nation of Islam (N.O.I), un mouvement nationaliste noir prônant la séparation raciale et dépeignant l'homme blanc comme un oppresseur. Cependant, des tensions avec Elijah Muhammad, le leader de la NOI, le poussèrent à quitter l'organisation en mars 1964.

Un voyage initiatique rendu possible grâce à un appui royal

En avril 1964, Malcolm X entreprit le Hajj, l'un des cinq piliers de l'Islam, obligatoire pour tout musulman en capacité de l'accomplir. Ce voyage fut financé en partie grâce à l'intervention de la princesse saoudienne Faisal, qu'il rencontra lors d'une escale et qui plaida en sa faveur après qu'il eut exposé ses difficultés à obtenir un visa.

Une révélation spirituelle et fraternelle

Une fois à La Mecque, il fut profondément marqué par l'humanisme et la fraternité qu'il n'avait jamais imaginés possibles. Dans sa Lettre de La Mecque (avril 1964), il écrivit :
"Il y avait des dizaines de milliers de pèlerins, venus du monde entier. Ils étaient de toutes les couleurs, des blonds aux yeux bleus aux Africains à la peau noire. Mais nous participions tous au même rituel, dans un esprit d'unité et de fraternité que mes expériences en Amérique m'avaient fait croire impossible entre Blancs et non-Blancs."

Une remise en question radicale de ses convictions

Cette expérience bouleversa ses convictions passées sur la race. Lors d'un discours après son retour, il déclara :
"J'ai vu que l'Islam élimine le racisme, car les gens de toutes les couleurs qui acceptent ses principes spirituels peuvent briser les barrières raciales."
Dans sa Lettre du Caire (1964), il insista :
"L'Amérique doit comprendre l'Islam, car c'est la seule religion qui efface le problème racial de sa société. […] Je n'avais jamais vu auparavant une fraternité sincère et vraie pratiquée par toutes les couleurs ensemble, sans distinction de couleur."

De la séparation à l’unité

Cette prise de conscience le conduisit à reconsidérer sa lutte. Il réalisa que les Noirs américains pouvaient s'allier à des Blancs progressistes, abandonnant ainsi l'idée d'un séparatisme strict. Ce revirement lui valut des menaces de mort de la part de la NOI, qui le considérait désormais comme un traître.

Une nouvelle vision politique et spirituelle

En juin 1964, il fonda l'Organization of Afro-American Unity (OAAU), s'inspirant à la fois de l'unité panafricaine et de l'Islam universel pour promouvoir une approche plus inclusive des droits civiques.

L’assassinat d’un homme en pleine métamorphose

Moins d'un an après son Hajj, le 21 février 1965, Malcolm X fut assassiné à Harlem par des membres de la NOI. Alors qu'il commençait son discours par "As-salamu alaykum", des coups de feu éclatèrent. Il reçut 21 balles. Plus de 15 000 personnes assistèrent à ses funérailles, témoignant de son impact immense.

Un héritage toujours vivant

Son Autobiographie, écrite avec Alex Haley et publiée peu après sa mort, devint un texte fondateur pour les mouvements noirs et antiracistes. Son assassinat reste un symbole des luttes de pouvoir autour du leadership afro-américain dans les années 1960.

Un pèlerinage, une révolution intérieure

Le voyage de Malcolm X nous rappelle que les pèlerinages, quand ils deviennent des écoles du vivre-ensemble, sont peut-être les seules révolutions capables de transformer un cœur sans effusion de sang.
"Je suis rentré de La Mecque avec des yeux neufs", confia-t-il. Des yeux qui, trop brièvement, virent ce que le monde refuse encore de devenir…

ABDOULAYE AMADOU

Malcom X avec le Roi Faysal
Malcom X avec le Roi Faysal