Bâtir la Paix pour Développer le Cameroun

Pendant longtemps, l’idée même d’une guerre sur le sol camerounais semblait impensable. Pourtant, le pays a été rattrapé par la violence : attaques terroristes dans l’Extrême-Nord, conflit armé dans les régions anglophones, milliers de morts, de déplacés et de réfugiés. Ce traumatisme a mis à nu la fragilité de notre vivre-ensemble et l’ampleur des défis nationaux. Dans ce texte, Ahmadou Abdoul-Kadir, entrepreneur et observateur politique camerounais, appelle à dépasser la simple survie pour engager une reconstruction profonde. Car contenir la guerre ne suffit pas : il faut désormais construire la paix – une paix juste, durable et démocratique, fondée sur la justice, la souveraineté populaire et un nouvel ordre républicain.

CAMEROUN

Ahmadou Abdoul-Kadir

6/2/20254 min read

Ce que nous pensions inimaginable est arrivé : la guerre s’est installée au Cameroun. Dans l’Extrême-Nord, Boko Haram a semé la terreur. Dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les revendications séparatistes ont dégénéré en un conflit armé. Résultat : plus de 9 000 morts, un million de déplacés internes, environ 50 000 réfugiés, et des milliers de vies brisées. Le tissu social a été meurtri, notre vivre-ensemble ébranlé.

Nous avons alors compris, dans la douleur, que face à la guerre, nous étions tous vulnérables. Aucune origine régionale, appartenance religieuse ou conviction politique n’a pu nous protéger. Le Cameroun a frôlé l’abîme. Mais dans les heures sombres de notre histoire, le peuple camerounais s’est levé, uni par une volonté de résistance, debout face au chaos.

Aujourd’hui, le pire a été contenu. Mais contenir la guerre ne signifie pas avoir conquis la paix. Il nous faut désormais gagner la Paix. Cela suppose d’abord de comprendre la nature du conflit, les causes profondes de notre vulnérabilité et les leçons de notre résilience collective.

I. De la guerre subie à la paix construite

La guerre qui nous a été imposée ne visait pas seulement nos vies ou nos biens. Elle visait le cœur de notre Nation : la démocratie, la République, l’unité nationale et l’État de droit.

Elle a attaqué nos institutions administratives, nos villages, nos activités économiques.

Elle a tenté de remettre en cause notre intégrité territoriale.

Elle a voulu déplacer le pouvoir du peuple vers des groupes sans légitimité, parfois installés à l’étranger.

Elle a exacerbé les divisions ethniques, régionales et religieuses, pour mieux fracturer notre société.

Ce projet de désintégration doit continuer de nous alerter. Car résister à cette entreprise, ce n’est pas seulement une exigence sécuritaire : c’est une exigence nationale, démocratique et historique.

II. La paix véritable repose sur un ordre nouveau

La paix n’est jamais un état passif, ni le simple silence des armes. Elle est le fruit d’un ordre juste, partagé, fondé sur des institutions crédibles et une légitimité démocratique. La paix ne se décrète pas. Elle se construit.

Pendant des décennies, notre pays a connu une forme de stabilité qu’on appelait “paix”. Mais il s’agissait en réalité de la paix du parti unique : une paix autoritaire, imposée par le silence, le contrôle et parfois la violence.

Ce modèle a montré ses limites :

La tentative de coup d’État d’avril 1984,

Les luttes de succession,

Les années de braise,

Les revendications démocratiques des années 1990.

Le parti unique a étouffé la société, empêchant l’émergence de solutions durables et de réponses adaptées aux aspirations du peuple. Il a généré les frustrations profondes qui nourrissent aujourd’hui les crises.

III. Tirer les leçons du passé pour entrer dans la modernité

Depuis 1990, le Cameroun tente de passer d’un ordre ancien — celui du parti unique — à un nouvel ordre démocratique. Mais cette transition reste inachevée. Nous vivons les derniers soubresauts d’un monde qui s’effondre sans qu’un nouveau soit encore pleinement bâti.

Il est temps de conclure ce long moment de transition. Il est temps de fonder un nouveau pacte républicain, basé sur :

La démocratie véritable, c’est-à-dire la souveraineté populaire,

La justice sociale, garante d’équité entre citoyens et entre territoires,

L’État de droit, protecteur de tous sans discrimination,

Le développement inclusif, moteur d’émancipation pour chacun.

La paix durable passe par là. Elle repose sur la capacité de l’État à garantir les libertés fondamentales, à répondre aux besoins collectifs (éducation, santé, emploi), et à construire un avenir dans lequel chaque citoyen se sent acteur et protégé.

IV. Dépasser les nostalgies, refuser les mirages

Certains, face aux crises actuelles, regardent le passé avec nostalgie, évoquant la “ paix ” d’antan, celle de l’époque d’Ahmadou Ahidjo. Mais cette paix-là était fondée sur le contrôle, la répression, l’exclusion. Elle n’est ni un modèle, ni une solution. C’est de ce passé que viennent nos problèmes présents.

Les exemples ailleurs dans le monde abondent : partout où le parti unique a longtemps régné sans partage — en URSS, en Yougoslavie, au Zaïre, en Guinée ou en Côte d’Ivoire — il a laissé derrière lui des sociétés fracturées et des conflits violents.

Le Cameroun n’échappera pas à cette logique si nous refusons d’en tirer les leçons.

V. Résister, refonder, reconstruire

Notre mission est claire : résister à la fatalité, refuser les divisions, dépasser les querelles héritées de l’ancien ordre, et reconstruire un Cameroun libre, uni, démocratique et moderne.

Nous devons résister :

Pour protéger l’unité nationale contre toutes les formes de fragmentation,

Pour sauver la démocratie face aux tentations autoritaires ou aux aventures extrémistes,

Pour préserver l’État de droit, socle de la justice et de la liberté,

Pour bâtir un avenir prospère, où le développement ne soit plus un slogan, mais une réalité.

Conclusion : la paix est le socle de tout développement

Sans paix, il n’y a ni démocratie, ni développement. Mais la paix ne peut être véritable que si elle repose sur la justice, l’égalité et la participation de tous.

Bâtir la paix, c’est refuser les exclusions. C’est reconstruire la confiance. C’est faire du Cameroun une maison commune où nul n’a peur de l’autre.

C’est à cette œuvre collective que je vous appelle. Pour que vive le Cameroun, libre et debout. Pour que renaisse notre espérance. Pour que la guerre ne soit plus jamais notre horizon, mais que la paix soit notre destin partagé.

Ahmadou Abdoul-Kadir